top of page
  • Photo du rédacteurSandrine NGATCHOU

"Toute vérité n'est pas bonne à dire"

Dernière mise à jour : 25 juin 2018

Je fais ce post car j'ai échangé avec un ami, sur le moment idéal pour indiquer ou dévoiler son infertilité au sein de son couple.



Je l'indiquais que j'ai dit à mon homme dès la rencontre que j'étais infertile avant même de dévoiler la relation.


Pour lui, il fallait laisser le temps que la relation s'installe, que la personne voit que je suis une femme bien avant de dévoiler la vérité. Ou que la personne le découvre le moment où vous essayez de faire l'enfant mais là il est bien installé dans la relation, Il peut supporter cette épreuve puisque la relation a déjà bien évolué.


Et pour lui, exiger des autres, un certaine sincérité, c'est un manque de confiance en soi et aux autres.


Car selon lui, toute vérité n'est pas bonne à dire.

Je n'étais pas d'accord avec lui sur ce point,. Si la vérité peut être dangereuse, l'origine de cette dangerosité n'est pas la vérité elle-même. Ce caractère brutal tient d’abord à la soudaineté du dévoilement de la vérité.


Il est important de se questionner sur le processus de dévoilement de la vérité, qu'elle ne soit fait l'objet d'un instant, mais un processus avec un accompagnement, un échange, une préparation afin que cette vérité ne soit pas seulement dite mais aussi acceptée.


Le risque d'une vérité qui est dite brutalement, peut s'avérer être son inefficacité : confronté à un tel choc, l’interlocuteur ne sera pas en mesure de l’entendre.


Mon homme qui travaillait sur le sujet des violences faites aux femmes, le sujet se prêtait facilement car mes violences étaient liées à mon infertilité lors de ma précédente relation. Aborder ce sujet a été très facile.


Dans un autre contexte, j'aurai dit ceci : Par rapport à ton choix d'une relation long terme, je pense que je te le dois cette vérité, l'avouer ouvertement est difficile car notre environnement social le rend difficile à porter, j'ai des difficultés à avoir des enfants, je suis infertile, orientée vers le don d'ovocytes, nous aurons besoin d'une autre femme pour avoir des enfants. Et cette procréation est médicalisée, et pas souvent pris en charge financièrement par les états, et cela demande effectivement de réorganiser sa vie en temps et argent afin de payer les traitements de FIV qui sont onéreux. Je ne suis pas complètement stérile et il y a plein de solutions pour avoir un enfant. Il faut juste avoir la patience, l'adversité dans son vocabulaire.

Dire la vérité ne représente pas seulement un risque pour les autres mais aussi pour soi. Car l'autre doit orienter ses décisions, ou initier des actions par rapport à l'information qu'il le reçoit. Celui qui le dit, prends aussi le risque que cette vérité soit connue de plusieurs personnes.


Ce qui pose problème souvent et rend la vérité potentiellement néfaste, c’est donc bien le fait et la manière de la dire. La brutalité du dévoilement de la vérité peut aussi tenir au langage employé.


Afin de d'éviter que la vérité puisse être nuisible, elle doit être dite dans un langage adéquat., allégorique, imagé, peut-être édulcoré éviter que la personne se ferme vis à vis de la vérité qu'il vient de recevoir.


Alors le problème de la radicalité de la question apparaît à nouveau, sous une autre forme. À supposer que nous trouvions que toute vérité soit, absolument et inconditionnellement, bonne à dire, qu’il faille toujours dire la vérité, cela signifie-t-il pour autant qu’on doive la dire n’importe comment et à n’importe qui ?


Est-ce bien la vérité en elle-même qui représente un danger, ou seulement les actions qu’elle initie ?

Cela paraît d’autant plus fondé que, si l’on donne à la vérité sa définition classique et nominale d’adéquation d’un discours avec son objet, alors elle n’est que paroles. Certes la parole est loin d’être inoffensive, et c’est bien pour cette raison qu’un certain nombre de précautions doivent être prises avant de dire la vérité.

Mais l’impact de simples mots n’est-il pas moindre que celui des actions qui en découlent ? En elle-même, la vérité ne serait-elle pas par nature inoffensive, voire impuissante ? Pourquoi ne pourrait-on pas toujours la dire ?


Si je sais que la vérité ne me sera révélée, ne puis-je alors me satisfaire de vivre dans l’illusion ou l’ignorance ?

Choisir de vivre dans l'ignorance, il faudrait avoir la garantie de rester dans l'ignorance, car le dévoilement de cette vérité peut entraîner des conséquences qui peuvent être néfastes


Si je sais que la vérité que je porte en moi, sera jamais démasquée, puis-je alors avoir la certitude que mes intérêts particuliers sont bien protégés ?

La protection de mes intérêts particuliers en ne dévoilant pas la vérité ne peut fonctionner que si l'autre concernée par cette vérité, ne la découvre et que cette découverte n’entraîne des conséquences néfastes.


Ces 2 exemples semblent indiquer que nous sommes tout à fait prêts à accepter le mensonge et les illusions, aussi longtemps que nous pouvons en éviter les effets négatifs. Alors on ne peut plus vraiment dire que nous voulons ou aimons la vérité, ni même que nous réprouvons le mensonge, mais seulement que nous fuyons les conséquences négatives du mensonge.


C’est « le courage de la vérité chez celui qui parle et prend le risque de dire, en dépit de tout, toute la vérité qu’il porte.


La parrèsia implique le courage de tout dire, au risque de déplaire, voire de fâcher. Cette franchise hardie, qui s'applique à la conduite de l'existence la plus intime, possède aussi une importante dimension politique : dire vrai sur soi-même, accepter aussi d'entendre ce qui n'est pas agréable, cela concerne aussi bien, pour les Grecs, le gouvernement de la communauté que celui de l'individu. - Michel Foucault

« Il n’y a pas d’instauration de la vérité sans une position essentielle de l’altérité. La vérité, ce n’est jamais le même. Il ne peut y avoir de vérité que dans la forme de l’autre monde et de la vie autre. »


Avec les cyniques, cette manifestation du vrai ne s’inscrit plus simplement à travers une prise de parole risquée, mais dans l’épaisseur même de l’existence. - Foucault

J'ai mis ici, un extrait de la philosophe Aïda N'Diaye :


"De même donc que la vérité ne nous inquiète que par les conséquences nuisibles qu’elle peut avoir, le mensonge ne nous effraie que par la perspective de la révélation qu’il implique, car nous supposons spontanément qu’il prendra fin nécessairement.


Nous ne craignons pas tant la vérité en elle-même que ce qui peut en découler. Nous ne nous méfions pas du mensonge mais du moment de la révélation.


Comment alors se prononcer sur la valeur de la vérité de manière absolue, si nous ne l’abordons jamais qu’à travers ses conséquences ? Comment déterminer une attitude à adopter qui soit valable pour toute vérité ?


En somme donc, le problème tient à ce que nous ne pouvons nous prononcer de manière universelle. Nous ne saurions vivre dans une société où tout le monde ment, pas plus que dans une société où tous disent la vérité, cette société du « pré-mensonge » que décrit le film The invention of lying. Mais où placer le critère ? Comment savoir quelles vérités peuvent être dites et quelles vérités doivent être cachées ou ne peuvent être révélées qu’avec précaution ? Et si nous acceptons que toute vérité n’est pas bonne à dire parce qu’elle peut nous nuire, n’est-ce pas renoncer à un idéal de sincérité au nom de notre intérêt particulier ou collectif ? N’est-ce pas par faiblesse ou par lâcheté que nous reculons lorsqu’une vérité nous paraît difficile ou risquée à dire ?


Il semble alors difficile de faire de la vérité un devoir absolu, sans aucune restriction tant elle peut s’avérer nuisible. L’une des étapes importantes de l’éducation ne consiste-t-elle pas à apprendre à ne pas dire la vérité ? Les questionnements spontanés de l’enfant (« Pourquoi la dame est-elle grosse ? », « Pourquoi le monsieur est-il noir ? »…) qui sont au mieux attendrissants dans le plus jeune âge, au pire gênants, deviennent de franches marques d’impolitesse et de mauvaise éducation passé un certain âge. Ainsi, un individu ne peut fonctionner socialement sans faire usage d’une certaine dose d’hypocrisie.


Par là, il se sert d’abord lui-même, en s’évitant les foudres et représailles, plus ou moins importantes mais toujours réelles, de ceux à qui la vérité aurait été dite. « Dire la vérité est utile à celui à qui on la dit, mais désavantageux à ceux qui la disent, parce qu’ils se font haïr1 », écrit ainsi Pascal dans les Pensées.


On comprend toutefois en quoi cela ne peut suffire à rendre le mensonge légitime : s’il ne fait que servir celui qui ment, alors, ne risque-t-il pas de nuire à celui qui en sera victime ? La citation de Pascal suppose en effet que dire la vérité est utile pour celui qui l’entend, lui permettant de procéder à un travail sur lui-même que le mensonge et l’hypocrisie rendent impossible.


Nos actes et nos paroles s’insèrent dans un environnement incertain. Dans un tel contexte, comment savoir à coup sûr quelles conséquences notre sincérité pourrait avoir sur les autres, sur nous-mêmes ? Comment prétendre affirmer de manière systématique que la vérité serait toujours bonne ? "


Sources ;

https://www.lemonde.fr/livres/article/2009/01/22/le-courage-de-la-verite-l-ultime-lecon-de-michel-foucault_1144999_3260.html

Les textes en italiques ont les extrait des réflexions du professeur en Philosophie Aïda N'Diaye - Toute vérité est-elle bonne à dire ? - Les éditions de l'opportun

418 vues0 commentaire
bottom of page